Paris le 24 mai 1956
Du TEMPS au MONDE
ou LA
PRESSE ET L'ARGENT
Mesdames,
Messieurs
Est-il objet plus courant,
plus familier qu'un journal ? Ce compagnon des bons et des mauvais jours nous
suit partout : au travail et au repos, à la ville et à la campagne, au hasard
des voyages et dans la quiétude du foyer. Il nous distrait ou nous instruit,
nous irrite ou nous réjouit. Il est là, tout proche, comme ces objets — parfois
ces êtres — si étroitement associés, si intimement mêlés à notre vie que l'idée
ne nous vient plus guère que nous pourrions vraiment ne pas les connaître et
qu'ils pourraient nous nuire sans même que nous nous en apercevions. On parle
beaucoup aujourd'hui et non sans quelque raison de multiplier dans le monde les
écoles de journalisme. Pourquoi pas également des cours du soir à l'usage des
lecteurs de journaux ?
La matière serait vaste. Il
faudrait d'abord définir la raison d'être du journal et son rôle d'informateur,
tenu, dans toute la mesure du possible à ne pas être trompé lui-même et, à plus
forte raison, à ne pas, sciemment, tromper autrui. « Produire un maximum de vérité
sous un minimum de gouvernement ». Ce mot d'ordre, lancé par Auguste Nefftzer,
fondateur du Temps, au cours des années 1860, devait devenir, à l'époque, un
des slogans de l'opposition libérale car Le
Temps, faut-il le rappeler, commença par être, sous Napoléon III, un
journal d'opposition. Mais s’il est vrai que le socialisme se propose de
substituer au gouvernement des hommes l'administration des choses, la formule
aurait pu paraitre tout aussi valable pour un journal « socialiste » que pour
un journal « libéral ». A ce propos, peut-être n'est-il pas sans intérêt de
mentionner en passant que Nefftzer, frais émoulu de la Faculté de Théologie
protestante de Strasbourg, avait enseigné dans un établissement dont
l'organisation s'inspirait du fouriérisme, avant de s'allier à une famille elle
aussi acquise aux principes de Fourier.
Ayant défini les raisons de
vivre les plus profondes d'un journal, il faudrait passer à l'étude de ses
moyens de vivre, s'attacher d'abord à leur aspect technique en montrant les difficultés
qui doivent être surmontées pour permettre la simple vérification ou
reconstitution des événements et leur diffusion à l'aide de procédés de plus en
plus rapides et complexes. On constaterait ainsi que la surabondance
d'information peut parfois aboutir, en fait, à la détruire. Et que l'excessive
rapidité de la transmission par la méthode du « flash » instantané peut aller
jusqu'à ôter à cette information tout sens intelligible. En second lieu, il
faudrait considérer l'aspect moral et politique, car toute liberté doit
connaître ses limites, ce qui pose à chacun le problème d'une sorte
d'autocensure et à tout pouvoir, si libéral soit-il, celui d'une surveillance
dans le cadre des lois. On parlerait enfin de l'aspect économique et financier,
car s'il est vrai qu'un journal digne de ce nom comporte des éléments qui
doivent toujours rester hors du commerce, il est aussi, au sens le plus banal
du mot, une entreprise, qui achète, fabrique, vend et doit faire des bénéfices
ou tout au moins assurer, en même temps que ses amortissements, le service des
emprunts qu'elle a pu contracter.
Nous n'allons pas, bien sûr,
nous lancer, même très superficiellement, dans un si vaste programme, mais,
puisque votre seule présence ici témoigne déjà que nous sommes entre lecteurs
avertis, nous pourrons nous borner, dans l'heure qui nous est donnée, a
quelques considérations sur ce seul plan économique et financier, autrement dit
sur les rapports de la presse et de l'argent. Là encore, quoi que nous
fassions, le sujet ne pourra être qu'effleuré. Bornons-nous donc délibérément à
quelques constatations élémentaires.
Première constatation : parce qu'elle est une industrie (une industrie pas
comme les autres, puisque l'essentiel de sa production est immatériel. mais
tout de même une industrie), la presse ne peut se soustraire aux lois qui
paraissent régir actuellement tout développement industriel. Elle est
contrainte, notamment, de s'assurer les services d'organisations et de machines
de plus en plus puissantes et de mobiliser par conséquent des capitaux de plus
en plus considérables. Là comme ailleurs, le simple jeu de la concurrence
aboutit, tôt ou tard, à l'élimination des plus faibles. C'est ainsi que l'on
constate une tendance à peu près générale en Occident à la concentration des
entreprises de presse. Dans son livre, Mort
d'une Liberté, Jacques Kayser signale que de 1910
à 1952, le nombre des quotidiens a diminué aux Etats-Unis de 31,8 % et que 94,5
% des villes américaines où sont publiés des journaux vivent actuellement au régime
du journal unique, sans compter celles, bien entendu, où des journaux
apparemment rivaux sont publiés en réalité par la même organisation. Ce dernier
phénomène qui est assez fâcheux peut, du reste, tout aussi bien être observé à
Paris. En Angleterre, de 1920 à 1945, 47 % des journaux du matin et 25 % des
journaux du soir ont disparu. A Paris, on comptait en 1914, 48 quotidiens non
spécialisés, 32 en 1939, 32 également en 1945 et seulement 11, ou 13 en
comptant large, en 1955.
S'il n'y a pas lieu de s'insurger
contre des tendances aussi générales et aussi profondes, il parait sage de les
étudier pour les mieux comprendre et en limiter, si possible, les
inconvénients. Un de nos confrères a eu raison, semble-t-il, d'affirmer que
l'indépendance d'un journal n'était nullement liée à son caractère plus ou
moins artisanal et qu'il était beaucoup plus facile au contraire d'acheter ou
d'influencer les petites feuilles qui paraissaient avant la guerre qu'un
journal tirant à des centaines de milliers d'exemplaires. Mais dans un cas
comme dans l'autre, c'est l'honnêteté des hommes qui constitue la meilleure
protection. A défaut, il n'y a plus qu'une question de prix et l'histoire
prouve que l'obstacle, même gros, est rarement jugé insurmontable, et qu'il est
sage d'exposer le moins possible les hommes à la tentation.
Une étude sommaire de la
presse parisienne permet une deuxième constatation, corollaire de la première,
qui est la non-rentabilité d’un grand nombre d'entreprises. Des treize
quotidiens. ou plutôt des quatorze, mis actuellement en vente à Paris (pour
faire place à un nouveau venu qui n'a jusqu'ici de commun avec Le Temps que le nom), ceux qui
équilibrent leur budget ou sont bénéficiaires par leurs propres moyens se
comptent sur les doigts d'une main. Ce qui ne veut pas dire que les ressources
de tous les autres soient condamnables. Il en est notamment qui tirent de
publications annexes un soutien parfaitement légitime.
Troisième constatation : si la situation générale est aussi mauvaise, c'est,
en grande partie, à cause du poids excessif de certaines charges. Certes, la
presse est avantagée à plus d'un titre, notamment sur le plan fiscal. Mais les
frais de papier, d'impression et de distribution, entre autres, sont
extrêmement lourds. A 60 francs le kilo, le papier journal est vendu aux
consommateurs sensiblement au-dessus du prix mondial et entre pour 4 à 8 francs
environ, selon le nombre de pages, dans le prix de fabrication de chaque
exemplaire. Encore bien des signes font-ils craindre que ce prix ne soit plus
très longtemps maintenu.
L'impression est, elle aussi,
fort chère. Les syndicats d'ouvriers imprimeurs groupés dans la puissante
Fédération du Livre ont été, depuis longtemps déjà, presque toujours en mesure
d'imposer leur loi à des journaux pour lesquels toute grève risquait
d'entraîner des pertes énormes et toute grève un peu prolongée une hémorragie
mortelle. Il en est résulté pour cette élite ouvrière, dont nul ne conteste la
valeur et les mérites, des privilèges qu'on peut trouver excessifs, comme celui
de régler elle-même dans les ateliers, en dehors de toute... ingérence
patronale, l'embauchage, le débauchage ou l'affectation de la main-d'ceuvre. A ces privilèges se sont ajoutées des
conditions de travail dont on souhaiterait certes qu'elles puissent être
étendues à tous, mais alors combien d'entreprises pourraient y résister ?
La distribution enfin est,
elle aussi, excessivement onéreuse. Combien de lecteurs savent-ils que les 15
francs, ou, s'ils sont prodigues, les 18 francs qu'ils versent à un marchand
des Champs-Elysées ou de l'Opéra en échange de leur journal, se trouvent
aussitôt amputés de la moitié et souvent davantage pour couvrir les frais de
distribution ? Est-il normal par exemple qu'un journal vendant sur Paris et sa
proche banlieue tout près de 50.000 exemplaires par jour soit en déficit sur
cette partie de sa vente et ne réussisse à Ie
compenser que par des ventes beaucoup plus lointaines ou par le jeu des
abonnements ? Faites le compte en tout cas : 4 à 8 francs de papier.
7 à 9 francs de distribution, un chiffre beaucoup plus variable pour
l'impression suivant l'importance du tirage, mais qui va, en moyenne, de 3 à 5
francs, le prix de revient de la plupart des journaux va s'établir entre 16 et
20 francs. sans avoir payé ni un rédacteur, ni un
employé, ni le moindre télégramme, ni le moindre loyer. Lorsqu'on ajoute aux
frais de fabrication et de vente proprement dits l'ensemble des charges, le
prix de revient d'un numéro du Monde
dépasse 25 francs.
Par bonheur il y a la
publicité, l'indispensable, la bienfaisante publicité (je parle de la vraie, de
l'honnête) qui représente 43 % des recettes pour un journal comme Le Monde et plus de 60 % pour les
journaux les plus favorisés. Quant aux moins favorisés, ils doivent, de toute
évidence, aller chercher ailleurs des ressources complémentaires.
Quatrième constatation : la concurrence est généralement acharnée et par
conséquent elle aussi très onéreuse. Il semblerait à première vue qu'une
industrie aux prises avec de si grandes difficultés s'appliquerait à
restreindre les dépenses quand elles ne sont pas jugées indispensables et
limiterait spontanément des rivalités souvent ruineuses. Or, c'est le contraire
qui le plus souvent se produit. Une concurrence sans frein pousse indéfiniment
à l'augmentation du nombre des pages et à la relance, par tous les moyens, de
la clientèle. Le prix minimum du journal restant fixe, on multiplie sous les
formes les plus diverses les avantages consentis au lecteur. II fut un temps où
il suffisait d'être photographié le journal à la main pour gagner cinq ou dix
mille francs. Les concours, qui furent à l'origine de simples jeux, sont
maintenant le prétexte à distributions fort importantes puisqu'après 5, 10, 15
et 20 millions, nous en sommes, en attendant mieux, à 50 millions de prix.
Naturellement les diverses corporations en relations plus ou moins étroites
avec la presse ont leur part de ces surenchères et l'on continue de vivre plus
ou moins ouvertement au régime du dessous de table.
Tout cela, dira-t-on, est
assez normal. Chacun est libre d'employer comme il l'entend ses bénéfices et
doit tout naturellement poursuivre l'extension de sa clientèle. Bien sûr. Ce
qui n'est pas normal, c'est que la prodigalité atteigne parfois un niveau
effarant que ne songeraient pas à se permettre les affaires... qui ne sont que
des affaires et, à ce titre, écartent résolument de pareilles méthodes.
Cinquième constatation — et ceci explique cela — : les capitaux restent
très abondants sur le marché de la presse. Bien que les journaux parisiens ne
soient pas toujours prospères, tant s'en faut, l'argent, sous une forme ou sous
une autre, ne cesse d'affluer. Comment expliquer que tant de gens aient tant
d'argent à perdre et d'où peut donc provenir cet argent ? Sa source par
hypothèse connue, pourquoi vient-il ainsi s'investir ou... se volatiliser ?
Est-ce fantaisie de milliardaire qui s'offre un journal comme une maîtresse
coûteuse, une écurie de course ou une galerie de peinture ? Est-ce œuvre
pie de bienfaiteurs désintéressés ? L'un ou l'autre peut, sans doute,
arriver, mais force est bien de supposer que le plus souvent l'argent ainsi
placé apparemment à fonds perdus est en réalité un argent qui rapporte... sur
d'autres tableaux, le tableau politique par exemple, ou plus encore, dans un régime
d'intervention où l'Etat contrôle généralement moins les affaires que les
affaires ne contrôlent l'Etat, sur le tableau économico-politique. Ainsi tout
s'éclaircit, ce n'est pas par hasard ou par un étrange aveuglement que tant de
centaines de millions, voire même' tant de milliards courent inlassablement à
leur perte, englobant apparemment dans un même dédain les investissements
productifs, les fondations pieuses, la production cinématographique, la
construction de logements ou l'extension de quelque Cité universitaire. Dans
ces conditions, la presse reste le plus souvent — la qualité morale des
journalistes aidant — au service de la vérité pour l'information loyale du
lecteur. Il suffit — mais c'est 1à qu'est le mal — que cette information
n'aille pas porter quelque préjudice à des intérêts très matériels et très
précis ou, à l'occasion, qu'elle les serve efficacement. C’est en ce sens que
la presse peut être amenée à jouer le rôle d'un sous-produit avantageux et
n'être pas seulement, comme j'ai cru déjà pouvoir l'écrire, cette presse
industrialisée qu'impose l'évolution économique, mais, ce qui est tout
différent, une presse... d'industrie.
Sixième constatation enfin : les capitaux ainsi jetés sur le marché manifestent
généralement la plus vive répugnance à dévoiler leur identité réelle. Et par là
même ils s'accusent. Car puisqu'il est admis que la presse est grosse mangeuse
d'argent, il pourrait y avoir fierté ou gloire à lui en fournir. Quand François
Coty en usait ainsi avec Le Figaro et
L'Ami du Peuple, on savait du moins à
qui on avait affaire. Quand il s'agissait du Temps, je parle du vrai, autour des années 1930, on était beaucoup
moins aisément renseigné. Pourquoi ? Plutôt que de nous appesantir sur les
manifestations les plus contemporaines de cette étrange propension du capital
ou de certains capitaux à la clandestinité, essayons maintenant de voir comment
les choses se sont passées lorsque, il y a environ vingt-cinq ans, Le Temps tomba brusquement dans une
sorte de déshérence.
*
**
Ici encore je dois être bref
et ne puis songer à refaire devant vous l'histoire du plus célèbre journal de
la III République. Ce journal, j'y ai déjà fait allusion, avait été un organe
d'opposition et comme il arrive souvent en pareil cas, plutôt dénué de ressources.
Le capital primitif de 400.000 francs n'avait pas fait long feu et il n était
pas rare qu'on attendit la rentrée des abonnements pour payer les rédacteurs.
J'ouvre ici une parenthèse pour signaler que si les rédacteurs du Monde ont parfois de justes revendications
à faire valoir, pareille aventure ne leur est tout de même pas encore arrivée.
Quant au Temps, c'est l'époque où Thiers lui décerne un magnifique brevet de
non-conformisme. " Le Temps,
écrivait-il de Trouville à Jules Ferry le 4 août 1866, se couvre d'honneur par
son courage à déplaire... Un avenir prochain couvrira de honte ceux qui ont
préparé à la France la situation qui l'attend. C'est ainsi que se font les
réputations et que vient parfois le succès au devant de ceux qui n'hésitent pas
à le fuir. Mais il arrive aussi que ceux qui ont su tenir dans l'adversité se
trouvent comme désarmés devant le succès. Auguste Nefftzer, le fondateur,
protestant alsacien, cultivé, fidèle, obstiné, s'était retiré après un deuil
cruel et devant la perspective d'une guerre franco-allemande qui le
désespérait. Le Temps, sous la
conduite d'Adrien Hébrard, devait devenir peu à peu un grand journal qui
n'allait pas cependant sans d'obscures faiblesses. Les gazettes de la Belle
Époque et de l'Entre-deux-guerres abondent en échos sur les tractations plus ou
moins secrètes menées avec tels ou tels gouvernements étrangers.
En 1914, trois jours avant la
déclaration de guerre, Adrien Hébrard mourait. Un de ses fils, Émile, lui succédait,
pour mourir à son tour en 1925, passant le flambeau à son frère Adrien. Fort
peu préparé à tenir un pareil rôle et atteint par la maladie Adrien Hébrard
fils manifesta bientôt, lui aussi, l'intention de se retirer. Le 13 juin 1929,
une assemblée extraordinaire ratifiait une sorte de chassé-croisé. Louis Mill,
vieil actionnaire du Temps et membre
du conseil de surveillance de la Société en commandite, devenait
directeur-gérant, cependant qu'Adrien Hébrard troquait son fauteuil directorial
contre un siège au dit Conseil de surveillance. La nouvelle direction fut, elle
aussi. sans éclat... tout au moins jusqu'à ce jour de l'été 1931 où Louis Mill
étant mort subitement, on trouva dans son coffre-fort une contre-lettre
établissant que les 1.269 actions du Temps
déposées à son nom dans les caisses de la Société ne lui appartenaient pas et
que ses héritiers n'avaient donc aucun droit à faire valoir sur elles.
Le Temps,
son titre, son influence, ses rédacteurs, ses immeubles et ses meubles avaient
donc été secrètement vendus. A qui ? Comment ? On devait mettre assez
longtemps à le savoir. Cependant à l'Assemblée générale tenue le 10 décembre
1931 pour élire une nouvelle direction et transformer en société anonyme
l'ancienne société en commandite (pour la soumettre ainsi à la loi de la
majorité simple constituée précisément par les 1.269 actions), quelques remous
se produisirent. Interpellant Adrien Hébrard, l'ancien ministre de l'Éducation
nationale, François Albert n'hésitait pas, comme on dit, à mettre les pieds
dans le plat : « Propriétaire de 1.269 actions, Monsieur le
Président, vous les avez vendues à M. Louis Mill, lequel les a vendues à son
tour on ne sait à qui... à moins qu'on ne le sache trop. On nous a dit que ces
actions étaient « bloquées »... Elles ont été achetées d'une façon
bloquée par quelqu'un qui veut aussi en faire un usage bloqué, politique et économique.
« Le fait que ces
actions ont été achetées à un prix extraordinaire prouve bien quelque chose...
Je ne me suis pourtant aperçu de la différence qui existe entre la quantité et
la qualité que le jour où j'ai appris pour quelle somme avaient été acquises
ces 1.269 actions qui ne représentaient pas seulement 1.269 fois une action,
mais la moitié plus une des actions du journal Le Temps. Aussi cela méritait-il un petit courtage supplémentaire.
Je me suis laissé dire que le courtage était supérieur au principal.
« Disons les choses
franchement : Le Temps jusqu'à
ce jour, c'était un journal, c'est-à-dire une affaire pas comme les autres, une
affaire dans laquelle il y avait à côté des intérêts matériels et commerciaux,
les intérêts moraux. En demandant la transformation en Société anonyme... vous
vous résignez à ce que l'affaire Le Temps
soit comme n'importe quelle affaire de journalisme et même comme une affaire
industrielle, une affaire commerciale ». Et de conclure :
« Le Temps ne sera plus Le
Temps. Ce ne sera plus le journal que les intellectuels avaient coutume de
lire. Et c'est vous, M. Hébrard, qui aurez fait cela.
Vous aurez avili la marque Hébrard. »
Naturellement la grande
presse quotidienne qui savait — je ne parle bien sûr que de l'ancienne — se
montrer, quand il le fallait, sans indiscrétion et même sans curiosité, se
garda bien d'exploiter ces incidents, et il n'y eut pas, apparemment, grand
chose de changé. Il fallut attendre la fin de 1933 pour qu'une série d'articles
publiés par un hebdomadaire syndicaliste, La
Tribune des Fonctionnaires, vint exposer
publiquement toute l'affaire. On apprenait ainsi, entre autres précisions, que Le Temps avait été vendu 25 millions,
que les noms substitués à celui de Louis Mill étaient ceux de personnages
généralement subalternes et inconnus du défunt, enfin que les documents
décisifs portaient l'en-tête de la rue de Madrid et la signature de M. Lambert-Ribot,
délégué général du Comité des Forges.
François Albert n'avait pas
été le seul à blâmer vigoureusement une opération, au demeurant parfaitement
licite dans le cadre des lois du moment. Le directeur de La Tribune des Fonctionnaires élevait lui aussi une protestation
encore plus passionnée : « La preuve, écrivait-il, doit donc être
administrée de façon incessante que Le
Temps est entre les mains d'intérêts matériels. II faut corner cette preuve
aux oreilles des élites dirigeantes du pays jusqu'au jour où elles prendront le
parti ou bien d'abandonner Le Temps
ou bien d'avouer qu'elles sont du coté de la richesse contre la nation ».
Il n'est pas sans intérêt de noter que l'homme qui n'hésitait pas à tenir un
tel langage n'était autre que M. Robert Lacoste, actuel ministre résidant en
Algérie.
*
**
Pourquoi, dira-t-on
peut-être, remuer ces cendres froides ? Pour deux raisons au moins. La
première parce que ce qui s'est passé en 1929 aurait fort bien pu se produire
(je parle, croyez-moi, d'expérience) vingt-cinq ans plus tard en dépit d'une
législation qui, théoriquement, ne le permettait plus. En second lieu, parce
que cette mystification très légale, je le répète, et même, a-t-on dit,
patriotique (dans la mesure où il se serait agi d'empêcher la mainmise d'un
homme tel que Basil Zaharof, grand trafiquant d'armes
de l'époque), parce que cette mystification, dis-je, ne devait pas rester sans
influence sur certaines décisions prises en 1944.
Car un étrange retournement
se poursuit sous nos yeux. Ceux qui, pendant l'occupation hitlérienne, avaient
su se ménager la faveur du maître et qui s'estiment de plus en plus fréquemment
en droit de donner à quiconque des leçons de patriotisme, accusent volontiers
aujourd'hui Le Monde d'avoir volé Le Temps, même si d'aventure ils n'ont
jamais eu quoi que ce soit à faire avec lui. C'est à leur tour de
s'indigner : comment après un tel larcin oser parler de liberté,
d'honnêteté, et, en général, de moralité ?
Cette fois encore l'histoire
serait longue et je dois résumer :
Premier fait
:
A la Libération de Paris, en
août 1944, nul ne concevait ni au gouvernement provisoire que présidait le
général de Gaulle, ni dans les milieux influents, ni dans la Presse que Le Temps pût jamais reparaître.
L'ordonnance qui fixait la date limite à laquelle les journaux publiés en zone
sud auraient dû se saborder avait, semble-t-il, soigneusement choisi la date
pour que Le Temps, à quelques jours
près, ne pût en invoquer le bénéfice. Ce qui n'empêcha du reste nullement des
journaux qui avaient continué de paraître bien après Le Temps d'être dédouanés et de continuer paisiblement leur
publication. Mais l'importance du Temps,
sa politique au moment de Munich, son caractère si l'on peut dire représentatif
de subordination aux intérêts économiques, l'exposaient alors à une
particulière sévérité.
Deuxième fait
:
Le Temps
n'avait pas « collaboré ». Il avait dû, comme tous les autres
journaux publiés en zone sud, se conformer plus ou moins aux exigences du
Ministre de l'Information et il en avait reçu des subsides sans lesquels la
plupart de ces journaux auraient probablement cessé leur exploitation. Mais ses
rédacteurs, à de très rares exceptions près, avaient témoigné sans équivoque
possible de leurs sentiments, et quelques-uns même n'avaient pas hésité à
courir au devant des plus graves périls. Il parut donc difficile, le moment
venu, d'ouvrir contre Le Temps le
procès que certains réclamaient à grands cris et, pendant que les témoignages
et les preuves de toutes sortes s'accumulaient à Lyon sur la table du Procureur
de la République, j'allais moi-même aviser le Garde des Sceaux que je me
trouverais dans la curieuse obligation de prendre personnellement la défense du
Temps en première page du Monde, puisque Le Monde, à l'origine, avait été fait par les rédacteurs du Temps et par eux seuls.
Que s'était-il donc
passé ? Pendant des semaines et des mois, on avait, à Paris, répété à
l'envi à la fois que Le Temps ne
pouvait pas reparaître et qu'il était indispensable de lui substituer un grand
journal qui eût, autant que possible, ses qualités en dépouillant ses défauts.
Les combinaisons se succédaient, aussi vite abandonnées qu'ébauchées et ce
n'est que fort tard, vers la fin d'octobre, que je fus saisi, tant de la part
du ministre compétent que des rédacteurs légitimement impatients, d'invitations
de plus en plus pressantes. Pendant des semaines encore, jusqu'à 1a fin de
novembre, l'hésitation se prolongea. Fallait-il accepter, ratifier en quelque
sorte l'acte de puissance publique qui était à la base de toute
l'affaire ? Si oui, il serait en tout cas inadmissible de procéder —
suivant la formule que devait employer plus tard le Président Herriot — à une
« expropriation pour cause d'utilité privée ». Les futurs associés du
Monde devaient donc se considérer
comme les exécutants d'une mission que l'Etat leur avait confiée, exclure a priori tout esprit de spéculation et
manifester aussi clairement que possible cette volonté par les dispositions
statutaires de la nouvelle société. En d'autres termes, puisque la situation de
fait créée par la guerre et la Libération allait peut-être permettre de créer
un nouvel organe affranchi de toute sujétion politique, économique ou
financière, ne fallait-il pas tenter l'aventure ?
Contrairement à ce qu'on a
dit parfois, cette aventure était fort risquée. J'entends encore un membre
influent de l'Assemblée consultative déclarer qu'une subvention de soixante,
quatre-vingts ou peut-être cent millions — de l'époque — était indispensable.
Il n'y eut pas de subvention, car nous n'en voulions pas. II n'y eut pas de
continuité juridique entre les deux entreprises et nous partions à peu près de
zéro dans la seconde quinzaine de décembre 1944. Il n'y eut même pas usage du
fichier des abonnés qui, en tout étal de cause, après quatre ans d'interruption
en zone nord et deux ans en zone sud, avait perdu une grande partie de sa
valeur. Mais en fait, quand d'anciens abonnés du Temps invoquaient un
abonnement en cours, ils étaient obligatoirement renvoyés à l'ancienne
administration et souscrivaient ou non, selon leur humeur, un abonnement au
nouveau journal. Ce qu'il y avait, c'était — et encore une fois le fait était
capital, mais nous n'y étions pour rien — l'interdiction signifiée au Temps de
reparaître. Il y avait une imprimerie vétuste à remettre peu à peu en état de
marche et des immeubles, confisqués par l'Administration des Domaines et cédés
à bail par ses soins. Il y avait également un crédit en espèces d'un million
qui fut remboursé d'autant plus vite et d'autant plus facilement qu'il n'avait
été à aucun moment entamé. Mais ce qu'il y avait surtout, c'était une équipe
toute prête, avec ses cadres, qui estimait après tout que si ses droits sur le
journal étaient seulement de caractère moral, ils n'en étaient pas moins
certains et suffisaient, dans les circonstances données, à la justifier.
Quant aux compensations
pécuniaires à l'égard des anciens actionnaires et de ce puissant groupement
d'intérêts économiques qui s'était clandestinement attribué la majorité des
actions du Temps, il est vrai
qu'elles ont trop tardé puisque la révision nécessaire de la loi de 1946 n'est
intervenue que le 2 août 1954. Dans le cadre de cette loi, un accord sévèrement
mais courtoisement discuté a été conclu à l'amiable entre l'ancienne société du
Temps et la nouvelle société du Monde sans même qu'il soit besoin de
recourir à certaines procédures prévues par la loi. Loi inique. dira-t-on,
peut-être, comme la précédente, celle de 1946. A quoi il est permis d'objecter
que la précédente législature n'était déjà pas tellement sensible aux
influences ou aux pressions venues de ce qui peut rester des anciennes
organisations de résistance et que la loi a été votée par 483 voix, les 100
voix communistes et progressistes étant seules à s'y opposer.
Dans l'intervalle, Le Monde avait triplé le nombre des
lecteurs que comptait autrefois Le Temps,
publié régulièrement chaque année son bilan et même avec quelque imprudence les
principaux postes de son compte d’exploitation, partagé avec la société des
rédacteurs fondée a cet effet la propriété du patrimoine social, affirmé enfin
des positions qui recevaient souvent, on serait tenté de dire beaucoup trop
souvent, la confirmation de l'événement. Et sans nul doute est-ce tout cela
qu'on s'acharne dans certains milieux à lui reprocher beaucoup plus que ce
qu'il pouvait y avoir de révolutionnaire dans ses origines. Si c'est là un
plaidoyer pro domo, je m'en excuse.
Ayant quelque peu appris et même enseigné le droit, je sais que nul ne doit
être juge de sa propre cause. En définitive et suivant la formule consacrée, je
m'en remets à l'appréciation du jury.
*
**
D'aucuns ont objecté une fois
encore que la cause étant depuis longtemps entendue, il n'y avait pas lieu d'y
revenir et d'enfoncer une porte si largement ouverte. Peut-être. Mais, en tout
état de cause, il est bon, il est même indispensable d'avoir du passé et du
présent une connaissance aussi exacte que possible si l'on ne veut pas être
simplement le jouet des forces qui se disputent l'avenir.
Deux évolutions sont en cours
dans le domaine qui nous occupe. L'une d'ordre principalement économique,
l'autre principalement d'ordre politique. La
première est assez importante pour que l'Institut international de Presse qui
siège à Zurich ait ouvert il y a quelques mois une vaste enquête sur les
rapports de l'éditeur, au sens anglais du mot, et du directeur : en
d'autres termes, de l'argent et de la rédaction. Le directeur d'un grand
journal hollandais a déclaré que l'éditeur, c'est-à-dire le propriétaire,
devait « penser en termes d'argent » et le directeur, lui, « en
termes de valeurs spirituelles », ce qui semble indiquer que la
« coexistence » de ces deux personnages et des valeurs qu'ils
représentent ne pose pas encore en Hollande de très graves difficultés. Heureux
pays ! Il semble en aller de même, d'après les résultats de l'enquête, dans la
plupart des pays nordiques.
En France, on a vu apparaître
après la guerre une formule qui, bien appliquée, pourrait être heureusement
substituée soit à celle du richissime et tout puissant propriétaire, quand il
n'est rien moins qu'un industriel de presse vivant, bien ou mal, de la presse
et pour la presse, mais bâtit au contraire sa fortune sur un autre terrain,
fabrique ou vend n'importe quel produit et ne considère le journal que comme un
instrument, soit aux sociétés plus dangereuses encore quand, sous un
échafaudage de dénominations apparemment innocentes et banales, elles
dissimulent des Intérêts ou des appétits soigneusement camouflés. Dans cette
formule nouvelle, les biens proprement dits : immeubles, machines, etc.,
restent la propriété d'une société de capitaux qui confie l'usage de ces biens
et l'exploitation du journal à une seconde société, dite société fermière,
formée, elle, de journalistes. Ainsi, les deux composantes plus ou moins
antinomiques de tout journal : les valeurs matérielles d'une part, et les
valeurs intellectuelles, morales ou spirituelles de l'autre, se trouvent à la
fois liées et séparées, les premières ne pouvant plus intervenir aussi
directement sur les secondes. Encore faut-il évidemment que l'affaire reste
rentable. La société propriétaire sera tentée d'intervenir et peut-être obligée
de le faire si le déficit vient à s'installer. Tout comme la société fermière
peut, elle-même, être saisie par le goût du lucre, et tentée d'exploiter le
journal au détriment de ce qui constitue sa plus profonde raison d'être. Ni en
ce domaine, ni en d'autres, aucun garde-fou institutionnel n'assurera jamais de
garantie absolue contre les erreurs ou la malignité des hommes.
Serait-il impossible
cependant de faire un pas de plus ? Ne pourrait-on imaginer que la propriété
des biens fût assumée de façon désintéressée soit par une vaste société de
lecteurs, chacun fournissant régulièrement sa contribution, soit par une sorte
de fondation, comme il en existe tant aux Etats-Unis. Dans cette dernière
hypothèse, les généreux donateurs perdraient évidemment le droit et le moyen
d'intervenir dans la gestion du journal. Ils y gagneraient de manifester ainsi
la pureté de leurs intentions et d'être à l'abri de tout soupçon. Peut-on
demander sans ironie s'il n'y a vraiment pas là de quoi tenter quelques-uns de
ces énormes capitaux actuellement prodigués à la presse ? Il ne s'agirait
évidemment pas de généraliser et bien moins encore d'imposer des formules qui
ne pourraient convenir qu'en un nombre de cas limités, mais peut-être n'en
faudrait-il pas plus pour que le climat de la presse fût changé, pour que la
concurrence — en principe légitime et souhaitable — perde le caractère forcené
qui est actuellement le sien, pour que les contradictions d'un hyper
capitalisme devenu vraiment stupide cessent d'apporter aux communismes ou aux
fascismes de nouvelles justifications, pour que, en revanche, les
réglementations nécessaires soient plus facilement acceptées, voulues et
surtout respectées par tous les journaux. Comment évoquer aujourd'hui, sans
dérision, les beaux rêves caressés au sein de la résistance, les serments
prodigués, les multiples projets de statuts si soigneusement étudiés et... si
vite enterrés sous les fleurs ? Mais il arrive que le bien naisse de l'excès du
mal et que le bon sens finisse par prendre — fût-ce durement — sa revanche. La Correspondance générale de Presse
annonçait récemment qu'une convention venait d'être signée entre plusieurs quotidiens
de Lyon, de Saint-Etienne et de Grenoble qui semblent avoir découvert qu'un
journal n'avait pas nécessairement à subventionner ou financer à grands frais
toutes sortes d'entreprises sportives, culturelles, philanthropiques,
touristiques ou autres. Sagement ces journaux ont préféré mettre fin — à
condition bien entendu que l'accord soit vraiment respecté — à des surenchères
ruineuses pour tous.
Autre exemple plus
significatif encore. La débauche de consommation de papier à laquelle s'est
livrée depuis quelque temps une partie de la presse française, jointe à
certaines difficultés d'approvisionnement qui ne sont peut-être pas toutes
fortuites, a fini par provoquer une grave rupture de stocks. Il va falloir cet
été, en pleine expansion industrielle parait-il, goûter de nouveau les joies
austères du rationnement. Même si les journaux britanniques veulent bien nous
prêter les quelques milliers de tonnes que nous avons dû humblement solliciter,
des restrictions vont probablement s'imposer et le mois d'août verra peut-être
les quotidiens revenir brusquement à huit pages du format normal.
Il faut, je l'accorde,
quelque optimisme pour espérer que ces leçons de l'expérience remettent enfin
les journaux sur la bonne voie, les incitent à renoncer à quelques errements
particulièrement déplorables et à promulguer enfin un statut professionnel
digne de ce nom. II faudrait beaucoup plus d'optimisme encore pour espérer que
ce statut aille jusqu'à définir — comme on prétendait le faire il y a dix ou
douze ans — une sorte de plan comptable dont l'application par toutes les
entreprises faciliterait singulièrement quelques mesures de publicité et de
contrôle. Prétention inadmissible, a-t-on déclaré, insupportable, incompatible
avec le « secret des affaires ». Le secret des affaires a bon dos, si
je puis ainsi m'exprimer. Combien de fois n'est-il pas autre chose qu'un
procédé commode opposé aux curiosités pas toujours illégitimes du fisc, des
actionnaires et du personnel ? Le
Monde, vous le savez, poursuit depuis déjà douze ans cette expérience
réputée impossible, qui compte certainement pour beaucoup dans l'attachement
que lui ont voué ses lecteurs et dont témoigne en maintes circonstances un
courrier parfaitement explicite. Il serait absurde de prétendre qu'un journal
peut vivre sans argent, mais le lecteur qui ne veut pas être dupe a le droit le plus absolu de savoir d'où proviennent les
ressources qui alimentent son journal. C'est là, pour lui, un irremplaçable
élément d'appréciation. Ce pourrait être pour la presse elle-même un
incomparable élément de force et de rayonnement et, dans bien des cas, la
barrière la plus efficace aux empiètements éventuels du pouvoir.
Allons-nous maintenant
aborder le problème politique Voilà qui pourrait nous entraîner bien loin. Constatons
seulement en terminant qu'en régime démocratique la presse, ce quatrième
pouvoir, est plus ou moins solidaire, qu'on le veuille ou non, des erreurs, des
fautes et des échecs du pouvoir politique. Si les institutions républicaines
n'ont cessé depuis une trentaine d'années, en dépit d'une trop imparfaite
restauration, de se dégrader, si le prestige et le poids de la France dans le
monde n'ont guère cessé de diminuer, la faute en est pour une large part à la
somme des mensonges accumulés et, bien entendu à celle des petits ou grands
aveuglements, des petites ou grandes lâchetés que ces mensonges avaient
précisément pour objet de dissimuler. Hommes du début du siècle,
rappelons-nous... « Verdun, on ne passe pas... », « ... Nous
avons perdu une bataille, nous n'avons pas perdu la guerre ». Ne sont-ce
pas sauf erreur, les deux seuls slogans vrais que nous avons entendus durant
cette longue période, vrais parce que l'histoire les a ratifiés ? En
revanche que de ridicules fanfaronnades : « L'Allemagne paiera »,
« L'infranchissable ligne Maginot », « Nous ne tolérerons pas
que la flèche de la cathédrale de Strasbourg puisse être sous le feu des canons
allemands », « La France est un empire de cent millions
d'habitants », « La route du fer est coupée ». Sur l'Indochine,
la Sarre, le Maroc, ils sont trop et nous apprenons maintenant avec stupeur
que, décidément, non, l'Algérie n'est pas la France...
« Un maximum de
vérité » réclamait Auguste Nefftzer. « On est puissant dès qu'on est
dans le vrai », répondait M. Thiers. Est-il encore possible après tant
d'occasions perdues et de forces gaspillées de mobiliser en France au-dessus
des coteries et des complots cette puissance du vrai ? A défaut, ne doutons pas
des effondrements, des déchirements et peut-être des asservissements auxquels,
en attendant l'avènement d'une génération plus heureuse et plus forte, nous
serions une fois de plus promis.