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EXPRESS.fr du 26/02/2008
Bruno Abescat, Renaud Revel
26 août 1960:
Naissance à Nice.
1982: Journaliste à La Tribune.
1986: Entre au Monde (service Economie).
1995: Grand reporter.
1998: Rédacteur en chef des pages Enquête.
2001: Participe au grand prix Midi libre (course cycliste).
2005: Nouvelle formule du Monde.
2007: Prix Femina pour Baisers de cinéma. Il a écrit d'autres
romans (Caresse de rouge, Korsakov...).
2008: Président du directoire du groupe Le Monde.
Un peu d'incrédulité. De la fierté, de l'émotion. Une sorte
de doute immense - mais pas du tout paralysant - au moment d'entraîner avec moi
toute cette maison pour arriver à inventer les chemins de l'avenir. A titre
personnel, j'ai cette obsession de prendre les bonnes décisions. Quelquefois,
c'est un peu vertigineux. Mais l'envie a dû rester plus forte que la peur...
Il faut que chacun joue son rôle, ni plus ni moins. Y compris la
Société des rédacteurs [Au Monde, celle-ci est l'actionnaire de référence]. Je
suis tout à fait disposé, c'est normal, à entendre ses représentants, mais dans
le concert de tous les actionnaires et pas plus que d'autres. Je voudrais
rappeler une chose: si je n'avais pas pris mes responsabilités, il y aurait
aujourd'hui un administrateur provisoire qui aurait fait peu de cas des
sociétés de personnel, quelles qu'elles soient. Par mon action, je leur ai
permis de se maintenir dans le paysage historique de cette maison. Certes, il y
a eu des blessures d'amour-propre, mais il fallait considérer l'intérêt
supérieur.
Dès lors que je considérais qu'il y avait des choix à faire, je
les ai assumés. Je ne suis pas quelqu'un de complaisant. L'enjeu était trop
important. Nous traversions une période qui pouvait être funeste au groupe.
Dans cette partie compliquée, j'ai fait au mieux.
Jusqu'à présent, cela a été plutôt un atout. Si l'on considère
l'histoire récente du quotidien, il y a eu un grand journaliste international,
André Fontaine, qui a dirigé le journal, puis un grand journaliste politique,
Jean-Marie Colombani, qui a constitué le groupe. Moi, je suis plutôt un
saltimbanque. Je viens un peu de nulle part, j'ai été reporter,
je suis romancier, j'ai plus inscrit mon action au Monde individuellement que
collectivement. Tout a changé pour moi, en réalité, avec la nouvelle formule du
quotidien, en 2005, celle qui a redonné de l'espoir. Maintenant, je me sens
investi d'une obligation de résultats. J'insiste sur cette expression.
Je dirais plutôt le contraire. Nous avions auparavant une
gestion qui était devenue trop politique. Moi, je voudrais vraiment instaurer
la compétence et le talent comme étant l'alpha et l'oméga de la prise de
décision. La décision, courte, rapide, concertée bien sûr, mais tranchée. Mes
choix seront fondés sur la compétence, pas sur les connivences et encore moins
sur le sectarisme.
Bien sûr. Mais, aujourd'hui, une page nouvelle s'ouvre. Tous les
organes dirigeants ont été renouvelés. Louis Schweitzer est à la tête du
conseil de surveillance. J'ai pris la présidence du directoire avec David
Guiraud, venu des Echos. J'espère que nous entrons dans une période de
stabilité, pour creuser un sillon et obtenir des résultats.
Les résultats ne sont pas arrêtés. Ils le seront fin mars. Mais
ce que je peux vous dire, après la cession de Midi libre, c'est que nous avons
quasi résorbé notre dette bancaire.
Si nous parvenions à cet objectif dans trois ans, ce ne serait
déjà pas mal.
Clairement dans la consolidation du groupe. Si nous étions
entrés dans une logique «le journal et rien que le journal», nous serions morts
à terme. Nous sommes une communauté de titres, avec des sites numériques, et,
avec toutes les équipes, nous devons aller chercher les contenus qui feront
l'audience de demain. Nous avons réussi cela avec le quotidien. Le Monde 2
prépare une nouvelle formule. Le Monde diplomatique aussi, La Vie vient de
lancer la sienne... Il nous faut libérer les talents, les énergies et
travailler ensemble, décloisonner.
Aucune cession n'est prévue à ce jour. On garde nos titres
phares et on aide à restructurer ceux qui se trouvent en difficulté.
J'aimerais constituer un pôle de développement avec une
pépinière de projets. En direction de la petite enfance et de l'adolescence,
par exemple. J'aimerais aussi que nous développions certains de nos contenus en
anglais et dans d'autres langues. Après tout, nous sommes déjà le quotidien
français le plus vendu à l'international: 10% de nos ventes se font à
l'étranger. Pour Libération, c'est 3%, et pour Le Figaro, moins de 2%. Notre
journal continue donc à avoir un rayonnement, tout en renouvelant son lectorat.
Plus de 20% de nos lecteurs ont moins de 25 ans. Ce taux n'atteignait pas 10%
en 2005. Cela s'explique en partie par l'adhésion à la nouvelle formule, plus
vivante, plus attrayante, moins idéologique aussi, que la précédente.
Je le répète: il n'y aura pas de cession d'actifs. Pour le
reste, je réserve aux personnels et aux partenaires sociaux la présentation des
mesures d'économie que nous devrons faire. Il faut réduire les coûts, partout
où cela est possible, mais sans toucher à la force vive, c'est-à-dire la
création de journaux très différents les uns des autres. Cela veut dire quoi,
concrètement? Instaurer une culture et une dynamique de groupe. Nous avons déjà
commencé, avec une réflexion sur le marketing publicitaire, l'informatique ou
encore la gestion. Je veux aussi en finir avec l'idée selon laquelle il y
aurait Le Monde, qui n'a pas eu une gestion vertueuse, et tous les autres
titres, obligés de payer pour lui. Ce journal a des efforts à faire. Nous
allons ouvrir tous les dossiers, toutes les portes, et définir un calendrier
des urgences. Un premier conseil de surveillance se tiendra vers la mi-mars.
D'ici à la fin du mois, nous aurons arrêté les grandes mesures de ce plan, sans
atermoiements.
Je ne dis pas cela. J'estime simplement que ce plan permettra
d'ouvrir le dossier de la recapitalisation de façon plus sereine. Je demande
donc à nos actionnaires de nous faire confiance pour les trois mois à venir
afin de montrer comment nous allons reprendre une gestion vertueuse et
volontariste. Il est malsain d'annoncer à des associés: «On va recapitaliser
pour que vous remboursiez nos dettes.» Il est plus stimulant de leur présenter
des projets de développement.
Le Monde est un journal et un groupe de journalistes qui a
toujours tenu à distance les actionnaires. Pendant plus de vingt ans, il a vécu
avec un capital émietté. Les actionnaires étaient présents mais plutôt passifs.
Par rapport à cette culture encore solidement ancrée dans les esprits, les pas
que j'ai faits ces derniers temps sont importants. Certains me l'ont d'ailleurs
reproché. Mais je les assume parce que je sais qu'il y aura des compromis à
trouver entre la communauté de journalistes et les actionnaires capitalistes.
Pour que cette discussion se fasse dans de bonnes conditions, il ne faudra pas
que le groupe soit dans une situation trop faible. Il doit donc reprendre des
forces avant de discuter dans une meilleure posture.
Il est évident qu'aucun actionnaire ne doit devenir dominant. Si
l'un d'eux pouvait dire demain «Le Monde, c'est moi», ce serait très
problématique. Nous devons impérativement préserver notre indépendance. Il en
va de notre image de marque et de notre crédit. Mais il existe encore des
marges de progression de l'actionnariat sans remettre en question notre
identité. Vous savez, je ne diabolise pas Lagardère. J'ai une discussion adulte
avec ce partenaire important et fidèle. Comme Prisa, il doit être considéré à
la fois pour ce qu'il nous a apporté et pour ce qu'il pourrait nous apporter à
l'avenir. Je ne vais pas faire semblant d'agir comme si Lagardère n'était pas
là. Entre nous, c'est un dialogue constructif où chacun, cela me paraît normal,
veut jouer sa partition. Dans le contexte d'inquiétude concernant l'avenir de
la presse, les journalistes regardent avec suspicion l'arrivée de capitalistes
comme Arnault, Dassault ou Pinault... La meilleure réponse à apporter est celle
des journaux que l'on fait chaque jour.
Le Monde ne sera jamais un journal populaire. Il faut assumer ce
que l'on est. Si on veut faire Le Parisien, on se fourvoiera. Si on veut faire
Libération, on se fourvoiera. Nous serons toujours dans une forme d'exigence et
d'élitisme dans le bon sens du terme. Le Monde et les autres titres du groupe
resteront des lieux où l'on donne à expliquer le monde.
Ma porte est ouverte. Je parle à tout le monde, j'essaie de tout
comprendre. Je suis dans une phase où j'emmagasine beaucoup de choses, sans
oublier que, derrière, il faut des décisions. J'ai un mandat de six ans. Mon
travail sera fait lorsque j'aurai remis ce groupe dans sa cohérence, éditoriale
et économique, et aussi quand je l'aurai installé sur les secteurs d'avenir.
En ce moment, non. De ce point de vue-là, c'est vrai que c'est
un sacrifice. Mais je suis tellement dévoré du matin au soir!
Je ne le vis pas comme ça. Mon style de vie n'a pas changé. Je
ne suis pas dans les dîners en ville, ou très rarement, car c'est à ce
moment-là que vous ne vous appartenez plus. Je sais aussi que sur un parcours
long - et c'est l'ancien coureur d'étapes qui parle -
il y a des jours où vous êtes moins bien mais où il faut rester en selle.
Garder de l'énergie pour ce qui compte vraiment